Notre patrimoine aux enchères

Des pans entiers d’état civil français passent aux mains de privés américains

le Figaro du 22/10/2008 Par Delphine Chayet

Le site Internet américain Ancestry.fr vient d’acquérir une riche collection privée de copies d’état civil (le fonds Paris et ancienne Seine, 1700-1907), dans laquelle figurent de nombreuses personnalités françaises. Grâce à Internet, les recherches généalogiques connaissent un essor spectaculaire.
De quoi aiguiser les appétits pour l’accès aux archives publiques.
C’est dans un sous-sol du boulevard Bourdon, à Paris, que vient de se jouer le dernier acte de la bataille pour le contrôle des archives françaises.
Conservée depuis l’après-guerre dans ce labyrinthe de rayonnages, une précieuse collection privée de copies d’actes de naissance, de décès et de bans de mariages vient d’entrer dans le giron d’un géant américain de la généalogie sur Internet. Depuis hier, c’est donc par le site Ancestry.fr – 160 millions de dollars de chiffre d’affaires l’an dernier et 1 million d’abonnés payants dans le monde – qu’historiens et généalogistes amateurs doivent passer pour examiner, par exemple, les bans de mariage de Pierre et Marie Curie ou l’acte de naissance du peintre Edgar Degas. Un «joli coup» pour ce puissant éditeur lancé, depuis un an, à la conquête des millions d’originaux de l’état civil français.
«Freinés par un flou juridique, les sites Internet se sont jusqu’à présent contentés d’exploiter des fonds privés, observe Pascal Even, à la Direction des archives de France et membre d’un groupe de travail sur la réutilisation des données culturelles, constitué au ministère de la Culture. Mais depuis quelques mois, le lobbying est devenu intense pour obtenir de l’État l’autorisation d’incorporer les archives publiques à leurs bases de données.

Démarchage à domicile

Après avoir été démarchés, de nombreux départements et communes – les détenteurs de l’état civil français – attendent notre feu vert pour se lancer». Or, ce feu vert pourrait précisément leur être officiellement accordé, suscitant des questions inédites: qui peut s’approprier la mémoire généalogique des Français ? À quel prix ?
Apparus depuis une dizaine d’années en France, les sites spécialisés ont révolutionné l’univers feutré de la généalogie. «Avant, seuls les professionnels et de rares passionnés avaient le temps de s’immerger dans les registres pour reconstituer l’arbre de leurs origines, remarque le président d’une association de généalogie du Val-de-Marne, Olivier Bournisien. Ces dernières années, la mise en ligne des premiers fonds d’archives et la multiplication des groupes d’entraide ont entraîné un véritable boom de la discipline.» On estime que le nombre de Français qui fréquentent les sites de généalogie a augmenté de 45 % l’an dernier.
Une famille sur deux dispose de son arbre et un Français sur quatre s’intéresse à cette activité. Cet engouement stimule l’appétit des éditeurs en ligne qui, convaincus d’avoir trouvé là un marché prometteur, proposent aujourd’hui à leurs abonnés des outils très perfectionnés. Sur Internet, on peut ainsi construire son arbre, enrichi de photos, et croiser ses informations avec des chercheurs du monde entier afin de retrouver des branches cousines. On peut aussi entrer son nom dans une base de données et voir apparaître, après un simple clic, les références de tous les actes d’état civil où ledit patronyme apparaît. «Plus le site est riche en données, plus il est attractif : d’où l’importance des accords de licence passés avec les collections», souligne Toussaint Roze, PDG de Notrefamille.com.

Ancestry.fr

Sur Ancestry.fr, les internautes partis sur la trace de leurs ancêtres peuvent ainsi consulter, aujourd’hui, une copie numérisée de plusieurs millions de petites fiches cartonnées jaunies par les ans. Constitué par un notaire clairvoyant, puis nourri de père en fils, le fonds Coutot rassemble des copies d’actes faits dans l’ancien département de la Seine et couvrant la période 1700 à 1907. On y trouve des preuves de naissance, de mariage et de décès, mais aussi une collection de bans ainsi que la liste de tous les électeurs – des hommes uniquement – inscrits en 1891. Certaines pièces sont uniques. «Toutes les archives de l’hôtel de ville et du tribunal de grande instance de Paris ont brûlé dans les incendies de la Commune en 1871, raconte Pierre Compoint, un héritier Coutot. Elles ont été en partie reconstituées par la suite à partir des registres paroissiaux mais de manière aléatoire.

On se lâche, et on dit ce que l’on pense

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